DEEP TIME
Gabriel Leger
10.01 - 06.03.21
galerie Sator Komunuma
Deep Time
Le soleil est l’ombre de Dieu.
Michel-Ange
Il n’a suffi que de deux moules à amulettes (Égypte, Basse Époque) pour relancer un atelier entier de production de céramique. La même terre qu’à l’époque antique a été employée, qui a pour couleur le fameux « bleu égyptien », susceptible de variations du bleu clair au graphite irisé, en passant par le vert.
Ces amulettes figurent le soleil à deux étapes de la journée, au lever (le scarabée Khepri) et au zénith (Rê-Horakhty, Horus-des-deux-horizons). L’installation murale les réunit donc dans une forme solaire, conte- nant deux structures concentriques: une frise d’Horus s’enroule dix fois autour d’un noyau de scarabées pareils à des bactéries primordiales.
Une édition limitée présente les amulettes séparément, chacune sur un disque d’or dont le diamètre est une mesure égyptienne équivalent à une main ouverte.
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Deep Time
The sun is the shadow of God.
Michelangelo
It took only two amulet moulds (Egypt, Late Period) to relaunch an entire ceramics workshop. The same clay that was moulded in ancient times has been reused here, giving these pieces the famous ‘Egyptian blue’ colouring, whose variations run from light blue to green to iridescent grey.
These amulets represent the sun at two at two moments of the day: the dawn (the scarab Khepri) and the zenith (Ra-Horakhty, Horus of the Two Horizons). This wall installation thus brings together the amulets in a solar form that contains two concentric structures: a frieze of Horus curls ten times around a core of scarabs that resemble primordial bacteria.
A limited edition presents the amulets separately, each mounted on a golden disk whose diameter corresponds to an Egyptian unit of measure based on the width of an open hand.
Quoi? - L’Éternité.
Tout ce que je regarde me regarde.
G. Bachelard, La Poétique de la rêverie
Une coupe athénienne du IVe s. av. J-C est posée sur un plateau lumineux. En se penchant pour voir ce qu’elle contient, l’on tombe immanquablement sur son double —antique et vivant.
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What? - Eternity.
All that I see, sees me.
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie
An Athenian cup from the 4th century B.C. is placed on a lightbox. Bending over to see what it contains, we inevitably come face to face with our double: ancient and living.
Lampes que le temps allume
(...) comme si la chose la plus fraîche pouvait être une flamme un instant entre deux mondes
Philippe Jaccottet, Après beaucoup d’années
Gabriel Leger a rallumé une lampe à huile antique,
le temps d’une flamme, puis l’a éteinte. De cette action accomplie sans témoins, demeure la preuve « photo- graphique » fixée sur une plaque de laiton poli.
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Lamps lit by time
[…] as if the freshest thing could be a flame an instant between two worlds
Philippe Jaccottet, Après beaucoup d’années
Gabriel Leger lit an ancient oil lamp, allowing its flame to burn briefly before snuffing it out once again. Of this act, carried out in private with no witnesses, all that remains is a sooty ‘photographic trace’ fixed upon a plaque of polished brass.
Ἓν τὸ πᾶν (Le Un est le Tout)
Mais moi, je ramassais (…) des antiques momies le blé
Dans le noir abstrait, démentiel, et grain par grain
Je l’ai moulu, et lentement je l’ai fait cuire au four.
W.B.Yeats, Sur un centaure noir d’Edmund Dulac
Quarante bouteilles de grès noir sont exposées au mur sur des tablettes recouvertes de nappes. Leur goulot fermé par de la cire suggère que leur ouverture doit être intentionnelle, et sera irréversible.
Elles renferment en effet un liquide (de la bière) dont l’ingrédient principal n’est pas renouvelable: du blé du IIIe s. ap. J-C, prélevé par l’éminent égyptologue français Gaston Maspéro en 1884 dans la nécropole d’Akhmîm qu’il venait de découvrir.
Boisson la plus populaire à l’époque en Égypte, la bière était bue depuis des millénaires par toutes les classes sociales. Elle n’était pas destinée à être conservée, au contraire de celle que nous avons réalisée.
Pour cette cuvée, le blé antique (de la plus ancienne espèce cultivée par l’humanité, « Triticum dicoccum ») a été mélangé à la même variété contemporaine et à des épices et du miel égyptiens.
Uniques aussi par leur fabrication, façonnées chacune par un céramiste, les bouteilles ont été marquées du symbole de l’« Ouroboros » (nom grec du serpent qui se mange la queue) enveloppant la phrase « Le Un est le Tout »; ce dessin provient d’un manuscrit de Zosime de Panopolis, auteur alchimique majeur et le premier dont l’existence est avérée. Coïncidence remarquable, ce dernier a probablement consommé de notre blé, car il a vécu à l’époque exacte et dans la ville même où la céréale a été semée.
Tel que Zosime l’énonce, « Tout s’enlace et tout se déplace. Tout se mélange et tout se recompose. Car la nature retournée se retourne elle-même.
Tel est le caractère de l’excellence de tout l’univers et sa connexion. » Ainsi, par des voies impénétrables, s’accomplit le destin de ce blé récolté dans les années 200 et finalement transmuté en 2020.
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Ἓν τὸ πᾶν (The One is All)
yet I (...) gathered old mummy wheat
In the mad abstract dark and ground it grain by grain
And after baked it slowly in an oven
W.B.Yeats, On a Picture of a Black Centaur by Edmund Dulac
Forty black stoneware bottles are exhibited on the wall on shelves covered with cloths. Their wax-covered mouths suggest that their opening must be an intentional – and irreversible – act.
Indeed, these bottles enclose a liquid – beer – whose main ingredient is anything but renewable: wheat from the 3rd century A.D. that was recovered in 1884 by Gaston Maspéro, an eminent French Egyptologist, as he excavated the necropolis of Akhmim that he had just discovered.
A popular drink in ancient Egypt, beer was drunk for millennia by all the kingdom’s social classes. It was brewed for immediate consumption, whereas the bottles on display here will preserve their contents for years to come.
For this batch, the ancient wheat (triticum dicoccum, the oldest to be cultivated by humanity) was blended with its contemporary equivalent and a mixture of Egyptian spices and honey.
The bottles, too, are unique: each one was handmade by a ceramicist and marked with the symbol of the Ouroboros (the Greek name for the snake consuming its own tail) that encircles the phrase “Le Un est le Tout” (The All is One). This drawing was copied from a manuscript by Zosime of Panopolis, a major alchemist and the first whose existence is historically attested. In a remarkable coincidence, this author likely consumed the wheat on which this beer is based, since he lived in the area during the exact period that the grains were harvested.
As Zosime wrote, “Everything intertwines and everything moves. Everything mixes and everything recomposes. Because nature, once turned, turns against itself. Such is the character of the excellence of all the universe and its connections.” In this way, through unfathomable paths, this wheat picked in the 3rd century fulfils its destiny in 2020.
Sunshine Recordings — série Râ
Soleils, je passe et vous passez.
Marguerite Yourcenar, Macrocosme
Des photographies de vestiges antiques sont traversées d’une ligne carbonisée. Gabriel Leger s’est rendu sur les lieux même reproduits sur les photos, pour y enregistrer la lumière du soleil. Cette captation est réalisée sur une journée entière avec un héliographe (« Sunshine recorder »), appareil météorologique pourvu d’une sphère de cristal qui concentre les rayons dès que le soleil atteint une certaine intensité.
Trois temporalités différentes sont donc révélées : une période antique, le moment où a été prise la photographie, et l’aujourd’hui continu, toutes trois sous le
« même » soleil.
Au lieu d’observer un corps céleste à travers un télescope, ici la situation est inverse, et l’on se fait le témoin de l’action de notre étoile sur nous, tel Icare : le soleil apporte la vie, mais aussi, en concentré, la brûlure. Comme un instantané d’un moment lumineux, nous reste sa trace, la cicatrice.
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Sunshine Recordings – Râ series
Suns, I pass and you pass
Marguerite Yourcenar, Macrocosme
Photographs of ancient remnants are bisected by a charred line. Gabriel Leger travelled to the exact sites pictured in the photographs in order to capture the light of the sun there. To do so, over the course of one day he used a heliograph, also known as a ‘sunshine recorder’, a meteorological instrument featuring a crystal sphere that concentrates the sun’s rays into a beam once they surpass a certain intensity.
Three different temporalities are thus brought together: the ancient epoch, the historical moment in which their ruins were photographed, and the contemporary present – all three illuminated by the ‘same’ sun.
Rather than observing the celestial body through a telescope, Leger inverses the situation to draw attention to the way in which the sun acts upon us, much like it did upon Icarus: its rays brings life, but once concentrated can burn and destroy. A snapshot of a luminous instant, these recordings bear the sun’s trace like a scar.
Eine handvoll Schlafkorn*[Une poignée de blé du sommeil]
Pourquoi j’éprouve tant de joie à dégager de la poussière ces cendres - et à les reverser aux millénaires dont je les ai extraites.
Pascal Quignard, Sur le jadis
La matière première du brassage d’une bière, ou « drêche », est habituellement mise au rebut à la fin du processus. Ce reliquat, mélange unique de blé antique et moderne qui a permis de réaliser la bière Ἓν τὸ πᾶν a en revanche été gardé et séché. Tel un cadeau du temps ou du rêve, il est comme tombé de l’image qui le surplombe, une photographie d’une fresque égyptienne représentant le vannage, où le blé est lançé en pluie dans l’air.
* Paul Celan
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Eine handvoll Schlafkorn* [A fistful of the wheat of sleep]
Why do I feel such joy as I sift these ashes from the dust – and pass them back to the millennia from which I extracted them
Pascal Quignard, Sur le jadis
The raw material of beer brewing, the ‘distiller’s grains’, are usually thrown away at the end of the process. Here though, this leftover, the unique blend of ancient and modern wheat from which the beer Ἓν τὸ πᾶ was created, has been kept and dried out. Like a gift from time or from a dream, it appears almost as if it has fallen from the image that hangs above it, a photograph of an Egyptian fresco representing the process of winnowing, where wheat is tossed high into the air.
*Paul Celan