Jean-Claude Silbermann

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© Enki.B Production

Born into a bourgeois family in 1935, having escaped persecution during the Occupation, he joined the Surrealist group before the age of 18 and participated in its events until its dissolution after André Breton’s death in 1966. As a result, he is commonly classified as a Surrealist.
But, as he writes on a corridor wall, among other maxims and observations: «The disappearance of the Surrealist group has not changed what I am. For me, as for all those who found themselves embroiled in it, to be a surrealist is to be.»
And to be, for him, is to create, which means not knowing what’s going to happen. That’s how he was when he started looking, around 1961. That’s how he is today.

Philippe Dagen,
Le Monde, April 2023

Né en 1935 dans une famille bourgeoise, ayant échappé aux persécutions de l’Occupation, il rejoint le groupe surréaliste alors qu’il n’a pas encore 18 ans et participe à ses manifestations jusqu’à sa dissolution après la mort d’André Breton, en 1966. Aussi est-il couramment classé surréaliste. Mais, comme il l’écrit sur le mur d’un couloir, parmi d’autres maximes et observations : « La disparition du groupe surréaliste n’a en rien changé ce que je suis. Pour moi comme pour tous ceux qui s’y sont trouvés embarqués, être surréaliste, c’est être.  » Et être, pour lui, c’est créer, c’est-à-dire ne pas savoir ce qui va se passer. Il était ainsi quand il a commencé à chercher, vers 1961. Il en est ainsi aujourd’hui.

Philippe Dagen,
Le Monde, Avril 2023

In a street in Saint-Cirq La Popie, France, Summer 1955
From left to right :
Benjamin Péret, Robert Benayoun, André Breton, Méret Oppenheim, Jean-Claude Silbermann, Marijo Silbermann
© Jean-Claude Silbermann’s private collection
Courtesy Jean-Claude Silbermann & galerie Sator

 

Silbermann

“À ce prix”

André Breton, Octobre, 1963 dans “Le surréalisme et la peinture”

Au point où nous en sommes, le poète ou l'artiste ne saurait se qualifier, ni prétendre à une reconnaissance durable, qu'autant qu'il se sera élevé contre les formes spécifiques que revêt de nos jours l'aliénation, au sens non clinique du terme. De la philosophie «des lumières», force est de retenir - tenir pour acquis - que, des aspirations de l’homme, tout défend d'inférer à un dessein, soit intelligent, soit moral, dans la nature, duquel un quelconque principe

d'ordre pourrait découler. Nulle spéculation licite ne permet de conclure à la nécessité d'un Dieu, fût-il soustrait aux images insanes et despotiques qu'en imposent les religions établies. Toutefois, quand bien même l’aberration suprême de l'anthropomorphisme qui se pare du nom de « Dieu» serait le terme-écueil du processus analogique, il n'en reste pas moins que chez l'homme ce processus répond à une exigence organique et que, pour échapper à son figement en une entité désastreuse - moyennant aussi les resources de la dialectique hégélienne,- il demande à ne pas être tenu en suspicion ni freiné mais, tout au contraire, stimulé. À ce prix est la poésie.

Sous la souveraine pression des idées de Freud, on convient de plus en plus, de nos jours, que la sexualité mène le monde. D'où il paraît résulter que tout doive être levé précipitamment des tabous et interdits qui, pour différer d'un temps et d'un lieu à tels autres, ne pèsent pas
moins sur les primitifs que sur nous. L'écho des découvertes psychanalytiques a été tel qu'il était inévitable que la plus totale incompétence, voire indignité, se saisît de ce problème. C'est à qui, dans la nuit du parti à prendre toujours à peu près totale en ce domaine, nous fera part de ses suggestions, non moins dérisoires que périlleuses, en matière d'éducation sexuelle. Il n'en semble pas moins que la jeunesse de tel pays, à cet égard plus libérée que toute autre, se montre aussi plus désemparée. L’éducation sexuelle systématique ne saurait valoir qu'autant qu’elle laisse intacts les resorts de la «sublimation» et trouve moyen de surmonter l'attrait du « fruit défendu». C’est seulement d'initiation qu'il peut s'agir, avec tout ce que ce mot suppose de sacré - hors des religions bien sûr - et impliquant ce que la constitution idéale de chaque couple humain exige de quête. À ce prix est l'amour.

L'ambition de «transformer le monde» et celle de «changer la vie», le surréalisme les a unifiées une fois pour toutes, s' en est fait un seul impératif indivisible. C’est dans cette mesure même qu'il n'a cessé de dénoncer le scandale que fait durer depuis plus de quarante ans, à l’est de l'Europe, l'antinomie absolue entre la grandeur du but déclaré : l'édification du socialisme et l'infamie des moyens mis en œuvre, depuis les pires parodies de justice et l'assassinat jusqu'à la plus sauvage violation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les hurlantes iniquités de la société capitaliste ne sauraient excuser ceux dont toute la vie cautionne de tels crimes ou qui y ont trempé les mains et, dans la toute dernière actualité, on ne s’indignera jamais trop de voir un réputé « penseur» user du tremplin que lui offre une distinction qu'il décline pour saluer deux

de ceux-là. A l'heure où vient enfin de paraître en traduction française Littérature et Révolution de Léon Trotsky, il devient impossible 'en éluder la thèse fondamentale, à savoir que la lutte idéologique entre le stalinisme et ses séquelles, d'une part, et l'antistalinime révolutionnaire, d'autre part, est base « sur une opposition dans la conception générale de la vie matérielle et spirituelle de l'humanité». À rebours de toutes les servilités requises de I'«engagement», la même voix proclame que l'art doit être libre. A l'heure où le silence gardé sur les circonstances de l'éviction de Khrouchtchev trahit un embarras sans précédent et frappe les séides de malaise (se dénouerait-elle demain qu'a été frôlée la crise profonde du régime), la plus grande attention est de rigueur, comme aussi la plus grande overture à l'éventuel et la plus grande disponibilité restent de mise. À ce prix est la liberté.

C'est au carrefour de ces trois voies hautement boisées que se découvre à nous Jean-Claude Silbermann. Il porte trace au front du « baiser de la reine » et c' est électivement à lui que Puck prête toute assistance pour gréer et ailer les éléments du spectacle intérieur comme il sait faire en exprimant le suc d'une fleur sur notre paupière. Grâce à eux, tout autour de nous, la nuit d'été.

Octobre 1964

Silbermann
“At this price”
André Breton, October, 1963 From «Surrealism and Painting»

At this point, the poet or artist can only qualify, and claim lasting recognition, insofar as he or she stands up against the specific forms that alienation, in the non-clinical sense of the term, takes today. From the philosophy of the “Enlightenment”, we are forced to remember - to take for granted - that, from man’s aspirations, everything forbids the inference of a design, either intelligent or moral, in nature, from which any principle of order could derive. No licit speculation allows us to conclude that a God is necessary, even if he is removed from the insane, despotic images imposed by established religions. However, even if the supreme aberration of anthropomorphism that adorns itself with the name “God” is the pitfall term of the analogical process, the fact remains that, in man, this process responds to an organic requirement, and that, in order to avoid being frozen into a disastrous entity - using the resources of the Hegelian dialectic - it demands not to be held in suspicion or held back, but, on the contrary, to be stimulated. This is the price of poetry.

Under the sovereign pressure of Freud’s ideas, it is increasingly accepted these days that sexuality rules the world. The result seems to be that all taboos and prohibitions must be hastily lifted. Although they differ from time to time and from place to place, they weigh no less heavily on primitives than they do on us. The

echo of psychoanalytical discoveries has been such that it was inevitable that the most total incompetence, even indignity, would seize upon this problem.
It’s up to those who, in the night of the party that’s still to be taken almost totally in this field, will share with us their suggestions, no less derisory than perilous, on the subject of sex education. Nevertheless, it seems that the youth of one country, more liberated in this aspect than any other, are also more bewildered. Systematic sex education can only be of value if it leaves the springs of “sublimation” intact and finds ways of overcoming the lure of the “forbidden fruit”. It can only be a question of initiation, with all that this word implies in terms of the sacred - outside religions, of course - and involving what the ideal constitution of every human couple requires in terms of quest. This is the price of love.

The ambition to “transform the world” and the ambition to “change life”, surrealism unified them once and for all, making them a single, indivisible imperative. It is to this very extent that it has never ceased to denounce the scandal that, for over forty years, has been perpetuated in Eastern Europe by the absolute antinomy between the greatness of the declared goal of building socialism and the infamy of the means employed, from the worst parodies of justice and assassination to the most savage violation of the right of peoples to self-determination. The screaming iniquities of capitalist society are no excuse for those whose entire lives endorse such crimes or who have dipped their hands in them. and, in the latest news, we can’t express our indignation enough at seeing a reputed “thinker” use the springboard offered by a distinction he declines to salute two of them. At a time when Leon Trotsky’s Literature and Revolution has finally been published in French translation, it has become impossible to avoid its fundamental thesis: that the ideological struggle between Stalinism and its sequels, on the one hand, and revolutionary anti-Stalinism, on the other, is based “on an opposition in the general conception of the material and spiritual life of mankind”. Backwards all the servility required of “commitment”, the same voice proclaims that art must be free. At a time when the silence surrounding the circumstances of Khrushchev’s ouster betrays an unprecedented embarrassment, and leaves his henchmen feeling uneasy (will it unravel tomorrow just as the deep crisis of the regime has been brushed against),, the utmost attention is called for, as is the utmost overture to the eventual and the utmost availability. This is the price of freedom.

It’s at the crossroads of these three highly wooded paths that Jean-Claude Silbermann reveals himself to us. He bears the mark of the “Queen’s kiss” on his forehead, and it is to him that Puck lends all assistance in rigging and winging the elements of the inner show, as he knows how to do in expressing the juice of a flower on your eyelid. Thanks to them, all around us, the summer night.

October 1964