D’un musée l’autre
Raphaël Denis
10.04-28.05.22
galerie Sator - Komunuma
Avant même la déclaration de guerre du 3 septembre 1939, les œuvres majeures du Musée du Louvre sont évacuées vers Chambord avant de rejoindre d’autres châteaux français. La Victoire de Samothrace en fait partie et sera dissimulée à Valençay. Des photographies de Marc Vaux montrent dans le Grand Escalier du Louvre la précieuse sculpture marmoréenne déposée sur un assemblage de planches fragiles et suspendue par une structure d’élévation. Raphaël Denis s’inspire de ces faits historiques et documents iconographiques pour créer une énième digression de La Dynamique des restes : « Les Ailes du désir ».
Découvert sur l’île de Samothrace en 1863, récupéré et “rapatrié” en France par des représentants du Second Empire, le chef-d’œuvre hellénistique est depuis devenu l’une des pièces emblématiques des collections françaises. La Victoire de Samothrace illustre le concept de l’appropriation par une puissance impérialiste d’un patrimoine exogène devenu depuis symbole national. Les deux ailes suspendues comme sur un gibet ou un trophée de chasse rappellent la fragilité de ces constructions politiques et symboliques par les puissances dominantes (la victoire de l’un étant la défaite de l’autre).
Even before the war was officially declared on September 3rd, 1939, the Louvre’s masterpieces were evacuated to Chambord before being placed in various other French chateaux. The Victory of Samothrace was amongst these works and was hidden in Valençay. Photographs by Marx Vaux show the precious marble sculpture placed on an assembly of fragile planks and suspended in the Grand Escalier of the Louvre. Raphaël Denis was inspired by these historical facts and images to create yet another work in the series La Dynamique des restes [the dynamic of remains] entitled Les Ailes du désir [the wings of desire]. Discovered on the island of Samothrace in 1863, recovered and “repatriated” to France by representatives of the Second Empire, the Hellenistic masterpiece has since become one of the emblematic pieces of all French museum collections. The Victory of Samothrace embodies the imperialist appropriation of foreign assets that become national symbols. The two wings suspended as if on a gallows or a hunting trophy remind us of the fragility of these political and symbolic constructions by the dominant powers (the victory of one being the defeat of the other).
Après s’être intéressé aux collections privées juives spoliées pendant la Guerre par l’occupant nazi, Raphaël Denis se consacre aux musées et conservateurs allemands, victimes du même régime. Près de seize mille œuvres dites “dégénérées”, selon les critères définis par Berlin, ont été saisies dès les années 30 dans les musées allemands par les autorités. Cent vingt-cinq tableaux et sculptures furent envoyés par les nazis à la galerie Theodor Fischer, à Lucerne, en Suisse, pour être dispersés lors d’une vente aux enchères le 30 juin 1939. Le Kunstmuseum de Bâle et le Musée des Beaux-Arts de Liège y furent parmi les acheteurs les plus actifs. Des œuvres modernes de collections allemandes devinrent ainsi la propriété d’institutions belges et suisses. Ce fut à la fois pour ces musées acquéreurs mesure de protection d’œuvres en péril et enrichissement de leurs propres collections. Prélude à la réalisation d’une installation à l’échelle grandeur nature, la maquette de Raphaël Denis représente le moment où toutes ces œuvres ont été mises en caisses pour être proposées à l’encan. La caisse, comme objet de protection et transfert, évoque à nouveau les enjeux de conservation et de déplacement des œuvres, leur ballotage entre grandes puissances.
After having been interested in the private Jewish art collections that were looted during the war by the nazis, Raphaël Denis has now dedicated his research to German museums and conservators, victims of the regime. Close to sixteen thousand artworks deemed “degenerate” – according to the criteria defined by Berlin – were seized from German museums by authorities beginning in the 1930s. One hundred twenty-five sculptures and paintings were sent by the nazis to the Theodor Fischer Gallery in Lucerne, Switzerland to be auctioned off on June 30, 1939. The Kunstmuseum in Basel and the Musée des Beaux- Arts in Liege were amongst the most active buyers. Modern works from German collections thus became the property of Belgian and Swiss institutions. For these museums, this was both a means of protect endangered works and an enrichment of their own collections. As a prelude to the realisation of a life- size installation, Raphaël Denis’ model represents the moment when all of these works were put into crates and offered at auction. The crate as an object of protection and transport evokes the stakes of conserving and transporting artworks, as well as their shuffling between great powers.
BLACK PLASTERS
Depuis le XVIIe siècle, les outils de reproduction des images et objets d’art, tels que la chalcographie ou la technique du moulage, sont au service de la diffusion des collections nationales avec pour but la transmission des savoirs et du génie créatif. Il s’agissait également de porter une politique culturelle offensive, comme démonstration de la puissance de l’État, pouvoir royal ou république. À partir de moulages de bustes anciens acquis auprès du Musée d’Art et d’Histoire de Bruxelles et de la gypsothèque de la RMN, Raphaël Denis se livre à une entreprise de déformation de la représentation. Trempant les oeuvres dans des bassines de plâtre et les recouvrant de gomme arabique et d’encaustique, couches après couches, il s’attaque à leur intégrité, symboliquement transmise depuis plusieurs générations grâce à la reproductibilité du moulage. Dans un geste quasi iconoclaste, l’artiste met à mal le concept de conservation, le déplacement est ici créatif.
Since the seventeenth century, tools to create reproductions of images and art objects – such as chalcography as well as moulding and casting techniques – have been used to increase outreach of national collections with the aim of transmitting knowledge and creative genius. It was also a matter of carrying out an offensive cultural policy, as a demonstration of the state’s power, be it royal or republican. Using casts of ancient busts acquired from the Musée d’Art et d’Histoire de Bruxelles and the gypsothèque (a place where plaster casts are stored) of the RMN (Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais), Raphaël Denis engaged in deforming representation. Soaking the works in plaster basins and covering them with acacia gum and encaustic, layer after layer, he attacks their integrity, symbolically transmitted for generations thanks to the reproducibility of the moulds. In an almost iconoclastic gesture, the artist challenges the concept of conservation. Here, the displacement is thus creative.