The Crystal & the Blind
est un incubateur, un laboratoire où sont produits de manière simultanée les indices et fragments d’un monde et son histoire. Dans ce microcosme qui agit comme une autre réalité, nous ne sommes pas spectateurs d’une œuvre mais témoins du processus de son apparition.
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The Crystal & the Blind is an incubator, a laboratory in which the fragments and clues of a world and its history are simultaneously produced. In this microcosm which acts as another reality, we are not spectators of a work but witnesses of the process of its appearance.


The project is inspire by two research programmes linked to the colonisation of space, both carried out in the United States in the second half of the 20th century: Biosphere II and Ecosphere. These two programmes bore on the reproducibility of autonomous terrestrial ecosystems. Biosphere II was a private initiative that gave rise to the construction of a gigantic laboratory takin the form of a space station located in the Arizona desert. Conversely, Ecosphere was developed by Nasa with a vie to creating the simplest and most elementary viable ecosystem, which took the form of a little glass object.
The archives of Biosphere II, combined with big speculative narratives, have been brought together and now comprise the memory an the imaginary of an artificial intelligence. An absent yet omni- present character, the creator and narrator of a story and its context through forms that constitute a living ensemble (micro- organisms, plant life and minerals), is influenced in its moods and evolutions by the study of the vital constants of the eco- system developed by nasa, as recreated here and immersed in the apparatus.

Le projet s’inspire de deux programmes de recherche liés à la colonisation spatiale et menés aux États-Unis dans la seconde moitié du XXe siècle : Biosphere II et Ecosphere. Ces deux programmes portaient sur la reproductibilité d’écosystèmes terrestres autonomes. Biosphere II était une initiative privée qui a donné lieu à l’édification d’un laboratoire prenant la forme d’une gigantesque base spatiale implantée dans le désert d’Arizona. À l’inverse, Ecosphere fut développée par la Nasa dans l’optique de créer l’écosystème viable le plus simple et élémentaire possible, prenant la forme d’un petit objet sphérique en verre.
Les archives de Biosphere II, mêlées à de grands récits d’anticipation, ont été réunies et composent désormais la mémoire et l’imaginaire d’une intelligence artificielle. Personnage absent mais pourtant omniprésent, créateur et narrateur d’une histoire et son contexte à travers des formes constitutives d’un ensemble vivant (micro- organismes, végétaux et minéraux), ses humeurs et évolutions sont influencées par l’étude des constantes vitales de l’écosystème développé par la nasa, ici recréé et immergé dans le dispositif.

À travers ce dispositif auto-réflexif construit lui aussi comme un écosystème plastique, l’observation scientifique permet de ré-agencer l’histoire et l’imaginaire convoqué par la recherche spatiale pour en extrapoler un nouveau récit, dans une logique d’archéologie prospective. Mémoire et devenir possibles sont mis en tension par le présent dans une narration mêlant archives et fictions, à travers des espaces microcosmiques en constante formation et évolution, où le réel est examiné comme une matière spéculative.

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Through this self-reflexive piece built like a visual ecosystem, scientific observation makes it possible to reorganise the history and imaginary invoked by space research and extrapolate it into a new narrative, following a prospective archaeological logic. Memory and becoming possible are put into tension by the present in a narrative combining archives and fictions, through microcosmic spaces that are in constant formation and evolution, in which the real is examined like a speculative material.

 

THE CRYSTAL & THE BLIND [PART 2]

ORBIS

Dans l’Antiquité, Aristote définissait l’homme comme « le vivant possédant le langage ». Il permet à l’homme de penser et de communiquer ses idées. Tout énoncé, par l’emploi d’une syntaxe communément partagée, régissant la nature et les relations des mots, produit du sens et de la connaissance. Or, aujourd’hui, nous avons intégré dans nos habitus, le recours à un élément tiers. Pour répondre à une question ou chercher le sens d’un mot qui nous échappe, nous nous tournons volontiers vers une source articificielle ; car « Google knows ». Et c’est ainsi que chaque jour, les réseaux reçoivent et engendrent plus d’informations que ce qu’un être humain ne pourra jamais absorber en l’espace de toute une vie. Les données génèrent d’autres données, des algorithmes spéculent sur le cours des choses - sur le réel.

The Crystal and the Blind [Part 2] est une exposition, un récit et une expérience dont nous sommes les témoins, en temps réel. Au sein d’une architecture aux allures de décor de cinéma, se jouant de la distance entre espace extérieur et intérieur, Hugo Deverchère, avec Elsa Di Venosa, conçoit une œuvre qui s’écrit au présent, à travers le temps et l’espace. La dimension autoréflexive à l’œuvre s’entend aussi bien quant à son sujet qu’à son objet.

À la fin des années 80, Biosphère II, un immense complexe de recherches liées à la colonisation spatiale, est construit dans le désert d’Arizona, à une époque où l’intérêt des gouvernements et du public décroissait fortement en la matière1. Pour l’artiste, son architecture futuriste qui n’est pas sans rappeler le vaisseau spatial du film Silent running (Douglas Trumbull, 1972) ou le dôme géodésique de Buckminster Fuller alliée à la retransmission en direct à la télévision des deux missions qui s’y sont successivement déroulées témoignent d’une volonté de ses créateurs de réactiver l’engouement populaire en bâtissant un contexte voué à être autant un centre de recherche, qu’un plateau propice à la production d’une véritable épopée de science-fiction, avec son décor, ses acteurs, son scénario.

Dans l’installation « The Crystal and The Blind », l’artiste décuple le potentiel fictionnel de l’expérience de Biosphère II, en confiant à l’apprentissage d’une intelligence artificielle, spécialement conçue avec le pôle de recherche informatique de l’université polytechnique de Mons en Belgique, d’une part des documents d’archives récoltés sur le site et d’autre part de grands récits littéraires et cinématographiques de science-fiction (Jules Verne, Arthur C. Clarke, Douglas Trumbull…). « The Blind », dépourvue d’imagination et de conscience, mais ayant assimilée avec le temps les règles complexes régissant le langage, génère pourtant du récit. Chaque minute, une voix de synthèse délivre un récit inédit, tout à la fois réécriture de la mémoire de Biosphère II, production écrite d’une histoire fictive de la conquête spatiale et d’un devenir possible.

Alors que nos recherches sur internet contribuent en temps réel à l’apprentissage machine, il a ici, la particularité d’être guidé dans son entreprise d’écriture, non pas par l’homme mais par le vivant. Plus précisément un petit globe transparent de dix centimètres de diamètre, « The Crystal », composé d’une solution saline, d’algues, d’air (essentiellement du dioxygène et du dioxyde de carbone), et peuplé par des micro-organismes et une espèce rare de micro-crevettes. Développé par la NASA après les programmes Apollo (1961-1975), il recrée l’écosystème artificiel viable le plus élémentaire.

Depuis Tourcoing dans l’espace d’exposition du Fresnoy, l’activité de cette Écosphère, munie de capteurs relevant ses différentes constantes vitales et d’une caméra, est retransmise en directe sur deux écrans. Ces données (température, pression, activité) guident à la fois l’algorithme dans le corpus de textes et d’images réalisées à Biosphère II, qui lui ont été confiés, mais sont également analysées puis transposées en direct dans l’espace d’exposition, par l’activation et variations des sources de lumière, de radiants et de ventilateurs permettant la création d’un espace agissant comme le déploiement de ce monde à l’intérieur du monde, potentiel et virtuel, contenu dans l’objet scientifique.

C’est un voyage microcosmique à la croisée de la science et de la fiction que propose l’installation « The Crystal and the Blind » où les rapports d’autorité, d’échelle, de distances, et de temps sont sensibles. En orbite d’un monde, dont le récit nous parvient en continu d’un bout à l’autre du pays avant de poursuivre son émission, via les ondes radio, vers des contrées et des temporalités qui dépassent notre imagination.

  • ORBIS, Texte de Diane Pigeau, commissaire de l’exposition